Manifeste
pour la Webature
Oui, il existe une forme
d'oeuvre textuelle de fiction propre au web.
Oui, cette forme possède une structure différente du
roman en livre.
Oui, cette forme est vécue différemment par le lecteur.
Oui, l'élément fondamental est le lien hypertexte.
J'appelle cette forme
webature.
Il s'agit d'un texte de fiction utilisant une structure
en liens hypertexte.
La forme d'expression la
plus courante sur le World Wide Web est le site
multimédia. Cependant le site multimédia nécessite,
pour produire une oeuvre de fiction, un minimum de
compétences techniques en informatique ou en graphisme
voire en musique. La webature n'est pas un site
multimédia : son seul médium est le texte !
Le ressort principal du
texte "livresque" est la page qui se tourne.
Celle-ci structure les caractéristiques du roman
classique.
- Les épisodes
s'enchaînent plus ou moins logiquement jusqu'à
la fin en fonction des volontés et des
capacités de l'auteur.
- La fin correspond à
la dernière page même si la situation survit
encore un peu dans l'esprit du lecteur ou se
poursuit dans un autre roman.
- Le lecteur ne rate
jamais un épisode mais est conduit par l'auteur
du début jusqu'à la fin. Le seul choix du
lecteur est entre l'esclavage ou la fuite. Mais
c'est cet esclavage qui est apprécié ! Un bon
auteur est précisément celui qui nous fait
avaler d'énormes couleuvres foncières par le
chas d'un aiguille formelle !
La structure en lien brise
l'enchaînement des épisodes, il n'y a plus de dernière
page, le lecteur peut choisir d'ignorer un lien.
L'enchaînement des
épisodes est brisé car le lien intervenant n'importe
où dans la page HTML fait hésiter le lecteur. Doit-il
continuer la page ou bien suivre le lien ?
En littérature classique, les ellipses et les analepses
existent mais leur mise en place et leur révélation
sont des procédés soigneusement calculés par l'auteur.
En webature, à chaque fois que survient un lien, le
lecteur peut ou non se créer son ellipse. En outre, il
ne sait même pas s'il rate ou non un épisode
fondamental !
Il n'y a plus de dernière
page car il n'y a pas de parcours de lecture. Si le texte
possède suffisamment de liens vers d'autres textes avec
des liens, il n'est pas impossible que la toile ainsi
tissée soit infinie. La lecture, affranchie du support,
ne s'arrête donc qu'à l'épuisement du lecteur.
En choisissant d'ignorer
un lien, le lecteur n'est plus l'esclave de l'auteur mais
devient acteur de sa liberté. Il parcourt son propre
chemin de lecture. Bien sûr, il peut se perdre, mais
aussi aller là où il n'aurait jamais cru qu'il irait !
Quel valeur attribuer à
un lien ?
Lorsqu'on tourne la page d'un livre, il y a une
progression. Celle-ci peut être chronologique, dans le
récit ou, simplement, dans la vie du lecteur.
La progression peut être aussi celle de l'expérience du
lecteur. On est influencé en lisant une page par les
pages précédemment lues. Mêmes les poèmes ou les
nouvelles d'un recueil sont classés pour que le lecteur
vive une progression. En webature, l'auteur ne peut pas
compter sur l'expérience du lecteur. En effet, l'auteur
ne sait jamais ce que son lecteur a lu ou non du texte au
moment où il lit une page donnée...
La page qui tourne nous
pose la question :"qu'y a-t-il après ?"
Le lien ne nous emmène pas forcément vers un après. En
effet, l'après peut être soit plus loin dans la page
HTML, soit au bout d'un autre lien. Et on n'en sait rien
!
Le lien peut servir
d'explication sur un mot : une définition, un
commentaire, le retour d'un souvenir. Cette explication
est-elle celle de l'auteur ou du personnage ?
Le champ de la webature
s'ouvre au défrichage ! Allons-y !
Pierre-Olivier Fineltin
En cadeau bonus, ma biographie presque pas romancée !
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