Un homme, un jour, acheta un chronomètre d'une précision extrême. En outre, cet excellent appareil disposait d'une remarquable fonction : le compte à rebours. Aussi, l'homme le régla sur sa dernière heure. Ainsi pensait-il s'organiser une vie qui le préparât pour quand l'heure sonnerait. Les grains du temps, dès lors, se décomptèrent au gré d'une suisse austérité.

L'homme divisa le temps qui lui restait en deux. La première partie sera consacrée aux plaisirs des sens et de l'esprit. Les activités qu'autrefois on appelait des pêchés, il résolut de tant les essayer jusqu'à satiété, dégoût. Ni les gourmandises les plus fines ni les mignardises les plus grasses ne lui seront bientôt étrangères.

Il alla directement au meilleur restaurant qu'on nommait et renommait en ville. Il se fit expliquer et goûta tous les plats. Il abusa des vins. Il se fit servir et resservir. Lourd et saoulé, il rentra chez lui en lâchant des vents tempétueux et expérimentant des retours de flamme dans les tuyauteries. Il se découvrit à cette occasion que, non et non, il n'avait pas de goût pour la mangeaille.

La deuxième partie de sa vie restante sera consacrée à la méditation et la purification de son corps et de son esprit. Ainsi quelque soit le monde dans lequel se lèvera le nouveau jour après la dernière heure : il sera prêt. Il partit donc aller voir les filles de l'impasse, remettant la pénitence sine die.

Ce bel ordonnancement fut irrémédiablement bousculé par un chauffeur ivre. Le chronomètre échoua après vente aux enchères dans les mains d'un brave homme qui le dérégla. Son fils, surfant sur la moquette avec la planche à repasser, fit tomber le chronomètre. Celui-ci ne sonna jamais et ils vécurent longtemps et eurent beacoup d'horloges.