Tentative de réhabilitation d'un vrai mal-aimé
par Pierre-Olivier Fineltin (cancre émérite de toutes les facultés de Paris mais amateur de poésie)
(Article
paru, il y a longtemps, dans le webzine, maintenant oublié, Carpe Diem du
site Erato m'amuse)
J'aimerais
vous parler d'un poète pas même inconnu. Il n'est pas maudit, n'est pas
mort miséreux et ne fut pas fustigé par ses contemporains au prétexte
d'avoir cent ans d'avance. Au contraire, il était et est encore très célèbre,
fut reçu à l'académie et figure en bonne place dans les anthologies. Je
vois trois raisons à ce sentiment.
Pourquoi
alors ressortir Heredia de son glorieux placard ? Pourquoi s'attacher au défi
de vous le faire lire ou relire ? Parce
que ce qu'écrit Heredia, c'est beau, intelligent, clair ! On
dit souvent que les sonnets d'Heredia sont ciselés : le travail minutieux
d'un artisan. Heredia maîtrise toutes les techniques de la versification
et de la diction. Qu'on lui refuse le terme de génie, soit, mais qu'on
reconnaisse la qualité de son labeur. Heredia est un maître au sens des
Compagnons du Tour de France. C'est chez lui qu'on apprend les tours de
mains du dur métier de poète. Dans son atelier, l'apprenti apprend à
lentement polir les vers, à les souffler cent fois et à fabriquer des chefs-d'œuvre. Vous
pouvez trouver de nombreux poèmes d'Heredia sur le Web, mais c'est sur le
site de Webnet.fr que vous en
trouverez le plus.
Qu'est-ce qu'un sonnet ? Si
vous n'avez pas encore lu le site sur les sonnets, voici quelques
explications techniques.
A
mon avis, cela ne porte pas vraiment à conséquence tant que le poème
est beau ! A vous de savoir comment vous préférez les règles, à la
lettre ou à l'esprit ! La
liaison entre les quatrains et les tercets s'appelle la charnière. Le
changement des rimes et du rythme, les tailles relatives (8 vers d'un côté
et 6 de l'autre) impliquent aussi un changement dans l'idée exposée. Le
dernier vers est appelé la chute. Tout le poème sert à l'amener et à
le faire paraître encore plus beau. J'ai
choisi (pas tout à fait au hasard) deux sonnets d'Heredia que je vous
livre ci-dessous avec quelques commentaires. Les commentaires sont plus
des invitations à aller lire d'autres sonnets ou à les lire différemment
que de véritables "leçons". Bref ce sont mes impressions de
lecteur. J'ai téléchargés ces sonnets depuis Webnet.fr
si vous constatez des erreurs merci de les signaler.
Soir
de bataille Le
choc avait été très rude. Les tribuns D'un
oeil morne, comptants leurs compagnons défunts, C'est
alors qu'apparut, tout hérissé de flèches, Au
fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare, Commentaires Le
bijou des bijoux est le troisième vers. Il commence par un "H"
et comme on reprend sa respiration pour lire le vers, on est bien obligé
d'humer avant de dire "humaient". Ensuite les "r" placés,
comme par hasard, à intervalles réguliers introduisent dans la voix qui
lit la vibration dont on parle. Il faut lire ce vers à voix haute, sinon
on passe complètement à côté. Bien joué José-Maria ! La
charnière est particulièrement accentuée. D'une
part, dans les quatrains, il y a les hommes de troupe environnés de
couleurs sombres (morne, feuilles mortes). D'ailleurs, le dernier mot des
quatrains est "bruns". Les mots sont principalement d'origine
militaire (tribuns, centurions, cohortes, soldats, archers). Il y a une
sorte de lassitude, de découragement, comme Heredia n'en parle pas, c'est
bien le rythme des vers et le choix des mots qui introduisent ces notions.
D'autre
part, dans les tercets, brille un seul homme. A lui seul, il relève
l'orgueil de l'armée (vaincue ?). Son activité, son bruit, sa couleur
rouge s'opposent à l'immobilité sombre des soldats. Ce
général à cheval, rouge (rouge, pourpre, sanglant) au milieu de ses
soldats bruns, métallique (vermeil, airain, buccins) et dominateur (maîtrisant,
Imperator) est un général héroïque, presque semblable aux statues équestres.
Même si la fin est d'un lyrisme exagéré et d'une pompe à la limite du
ridicule, ce sonnet n'est pas de la petite bière crachée à la va-vite
sur le bord d'un guéridon de troquet ! Le
coureur Tel
que Delphes l'a vu quand, Thymos le suivant, Il
palpite, il frémit d'espérance et de fièvre, Commentaires La virgule du premier vers (après "quand") et celle du huitième vers (après "fondait") mériteraient qu'on réfléchisse un peu, non ? Dans
les deux premiers vers, l'alternance
de labiales et de dentales reproduit avec la langue le mouvement des
genoux, de haut en bas, bas en haut... C'est une course, pas de doute.
Heredia a écrit cela d'oreille... Pas mal Le
premier tercet est haché par les virgules : c'est le départ, les premières
foulées sont heurtées, lourdes, il faut vaincre l'inertie et s'équilibrer.
Dans le deuxième tercet, il n'y a plus de virgule à l'intérieur des
vers, le coureur a atteint sa vitesse maximale. Le lecteur s'essouffle à
prononcer ces 36 syllabes quasiment sur une respiration : pour gagner dans
ce sprint il faut souffrir et faire acte de volonté. Toute la grandeur du
sport est là ! Alors,
Heredia vous paraît-il toujours ennuyeux ? Allez vite relire d'autres poèmes et vous découvrirez des trésors !
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