Pendant qu'Adrien surveille la porte aveugle de la cousine de l'inconnue, l'ennui s'arrête en face de lui. Ils se regardent.

L'ennui a un visage long comme un jour sans pain et une physionomie pas très réjouissante. Si vous ne l'avez jamais rencontré, apprenez qu'il n'est pas bien beau. Qu'attendre de plus de sa part ? Il n'est que le reflet de ce qui a le moins d'intérêt en nous.

L'ennui ne venait pas voir Adrien pour la première fois, il avait l'air décontracté de celui qui sait ce qu'il fait. En fait, il vient assez souvent visiter le jeune homme. Mais pour la première fois, Adrien le voit. Que faire ? A coup sûr, sa conversation est ennuyeuse.

L'ennui, sans baisser les yeux, continue de fixer Adrien. Son regard demeure vide, inexpressif. Il a des cheveux gris, des yeux gris, un teint gris, aigri, amaigri. Habillé de grisaille, il semble nuageux, sale comme un ciel d'hiver. Silencieux, il garde ses yeux dans les yeux.

Un silence s'installe. Non pas le silence paisible de ceux qui ont choisi de se taire, mais bien plutôt le silence tendu de ceux qui n'ont rien à en dire et rien à en faire. L'ennui ne bouge pas. Ah, celui-là, lorsqu'il y est, il y reste. Difficile de le faire déguerpir. Plus Adrien le regarde et plus il s'ennuie. Enfin, le jeune homme rassemble ses forces, secoue la tête et pointe le menton.

- Tu es encore là ? Je ne veux pas de toi.
- Tu n'as qu'à changer d'idée. Je n'ai pas demandé à être ici.
- Et ça te fait plaisir de venir ennuyer les gens ?
- Ah pardon, c'est toi qui t'ennuies et non moi qui t'ennuie ! On m'en veut toujours mais je n'y suis pour rien. N'as-tu pas remarqué que c'est lorsque que tu t'ennuies que je viens. Si quelqu'un d'autre t'ennuie, c'est la colère qui vient. Tu vois, je suis trop bon avec toi, je fais de l'esprit : cela te distraira et je pourrais rentrer chez moi !
- Pour me distraire, il faudrait que tu sois drôle. Si tu continues, l'agacement viendra te rejoindre. Désolé, ne m'en veux pas, mais je crois que tu n'es pas rentré.
- Ah non, ça ne va pas recommencer ! J'en ai ras-le-bol de ces petites interventions de trois fois rien, qu'on croit régler en 3 coups de cuillère à peau et qui durent pendant des heures à cause de complications post-opératoires. J'en ai déjà soupé cette semaine. Pas plus tard qu'hier soir, j'ai été appelé chez une fille et il a fallu que je reste jusqu'à 3 heures du matin en regardant TF1 avant qu'elle ne s'endorme... Tout ça, à cause d'un crétin qui n'a pas voulu téléphoner. Tu parles d'un métier, j'en ai ras-le-bol de ce job.
- Donne-moi l'adresse de la fille... La prochaine fois, j'irai à ta place.
- Bof, tu sais, si elle était intéressante, l'autre crétin aurait appelé, tu sais, c'est vraiment rasoir comme boulot !
- Au fait, comment devient-on ennui ? demande Adrien.

L'ennui avec l'ennui est qu'il disparaît dès que la conversation devient intéressante ! Il revient un peu plus tard. Cependant, si Adrien sent sa présence, il ne le voit plus. Peut-être est-ce un autre ennui, moins ennuyé ?

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