Bastien Malteret, le célèbre
météorologue de l'Institut National de Météorologie,
regarde sur son écran les bandes qui doivent être
envoyée aux télévisions pour l'animation satellite. Il
contrôle les heures, vérifie les isobares et les
isothermes. Son assistante entre avec les enveloppes et
dit :"Les coursiers des chaînes sont là. Celui de
TF1 semble particulièrement pressé."
- Je crois que tout est bon, répond Bastien. Soudain son regard est attiré par une
anomalie. Il zoome sur une zone et imprime la carte. Il
se penche, prend une loupe, se tourne vers la lumière et
observe un morceau de carte attentivement.
- Qu'y a-t-il ? demande l'assistante.
- On nous a volé un rayon de soleil.
- Quelle horreur ! Où çà ?
- A peu près tout le 92 et une bonne partie du 78, la
moitié chic de la banlieue parisienne. Je préviens le
directeur. Réunis l'équipe et appelle la surveillance.
Il faut le retrouver avant 20h40.
Bastien prend son inspiration.
C'est la première fois qu'on lui vole un rayon de
soleil. D'habitude, les gens font plutôt disparaître
des orages, détournent de la foudre pour ne pas payer
l'électricité ou guérissent des dépressions à coups
de Prozac. Généralement c'est ce qui se passe. Il
décroche le téléphone intérieur.
- M. le directeur ? Bastien Malteret des prévisions
télévisées.
- Oui ?
- On nous a volé un rayon de soleil.
- Bon Dieu ! Les commentaires sont partis ?
- Oui Monsieur. Je me suis aperçu du vol en contrôlant
les photos satellites. La surveillance est prévenue. Je
préviens les télés ?
- Non, je m'en charge. Retrouvez-moi ce rayon au plus
vite. Faut coller le salopard qui a fait ça au trou, et
pour longtemps. Et tenez-moi au courant toutes les
heures.
Les membres de l'équipe commencent
à pénétrer dans le bureau de Bastien. Les
prévisionnistes recalculent les incidences sur le climat
global. L'attachée de presse prépare son communiqué
pour les journalistes. Le chef de la sécurité, Hubert
Gaudriol, un ancien des services secrets, arrive peu
après.
- Je fais contrôler les bandes de la vidéo interne par
mes hommes. A quelle heure a eu lieu le vol ?
- J'ai écrit les commentaires vers 17h30, dit un des
prévisionnistes, et on les a contrôlés tous ensemble
avec les cartes. Tu t'en souviens, hein, Bastien ?
- Les cartes étaient OK à 17h50, dit l'infographiste,
l'animation fonctionnait sans trou quand je l'ai passée
au studio vidéo.
- J'ai sorti la récap' de la machine, dit le technicien
de la vidéo, on n'a pas fait de traitement, juste des
copies.
Ils se regardent tous. Le chef de
la sécurité décroche un téléphone :"Lucien ! Va
fouiller les poubelles au niveau 5... Oui... Vite... et
sans discuter."
Le téléphone sonne peu après : un journaliste de la
télévision a senti le scoop. Bastien bascule l'appel
plus loin en faisant signe à l'attachée de presse de
s'en occuper. Le chef de la sécurité pose des
questions.
- Pourquoi quelqu'un irait volé un rayon de soleil ?
D'habitude les gens sont tellement demandeurs qu'on
arrive pas à fournir ! demande Bastien.
- Les motifs peuvent être nombreux. Quelqu'un veut
discréditer l'Institut, prouver notre incompétence
peut-être nous supprimer. Bercy veut s'en servir pour
supprimer nos crédits ou bien l'armée veut promouvoir
son propre service météo. Ou alors c'est un coup des
communistes pour foutre la merde dans les banlieues
bourgeoises.
Tous se regardent horrifiés. Qui
eut cru qu'il y eût tant d'enjeu autour des prévisions
climatiques ?
- Vous oubliez une possibilité, dit le directeur en
entrant. On veut ma tête. Comment pourrais-je rester en
place si la météo donnée aux chaîne est fausse. Vous
imaginez comme les chaînes aiment que leur standard soit
bloqué par des gens mécontents de la météo ! Après
vingt ans passés à donner l'information climatique la
plus rigoureuse, je serais forcé de démissionner dans
l'opprobre et sous les quolibets.
Il dit cela avec le regard fier et
le dos droit : dans l'adversité les grands hommes se
révèlent. L'attachée de presse a la larme à l'oeil.
Le téléphone sonne, c'est un des hommes d'Hubert.
- Sur les bandes de surveillance, mes hommes ont
identifié le voleur : Georges Lespontin.
- Oui bien sûr, il nous en veut. On l'a mis à la porte
le mois dernier pour "divulgation de fausses
informations capables de jeter le discrédit sur
l'Institut". dit le directeur
- Comment a-t-il pénétré ? demande Bastien. A-t-il
bénéficié de complicités à l'intérieur ?
A ces mots, tous se regardent. Des
sourires niais apparaissent. Des regards se torvent...
- Lulu, tu t'entendais bien avec Georges, non ?
- Qu'est-ce que tu insinues, crâne de piaf ?
- Rien, rien, mais c'est bizarre comme tu réagis...
- Messieurs restez calmes, intervient le directeur.
- On ne sait rien, affirme Hubert.
Encore une sonnerie de téléphone.
Bastien décroche et écoute. Très vite, il branche le
haut-parleur.
-... Vous êtes bien dans la merde, hein ? Il vous a bien
couillonné, l'incompétent, hein ? Je suis triste de pas
pouvoir voir votre gueule... Surtout la vôtre, directeur
de mon cul.
- Monsieur Lespontin, demande le directeur, arrêtez ce
jeu stupide et rendez-nous le rayon de soleil.
Hubert lui fait signe de continuer
la conversation et passe à mi-voix des ordres sur un
autre téléphone.
- Ah non, maintenant que je vous ai
en mon pouvoir... Vous allez me mangez dans la main pour
le récupérer votre rayon. Au moins 10 millions de
francs. Je n'ai plus pour longtemps, je vais crever
bientôt, j'en ai plus rien à foutre de rien mais il
faut que j'assure l'avenir de mes enfants.
- Vous êtes malade, nous n'en savions rien.
- Je me suis brûlé en saisissant le rayon de soleil, je
vais faire un cancer. Alors pour les 10 millions ?
- Vous aurez les meilleurs soins, pensez-vous que vos
enfants pourront conserver cet argent à votre mort ?
- Si vous faites rien, je passe le rayon au travers d'une
loupe et je fous le feu à tout Paris. Enfoncé Néron,
je cramerai Paris.
Soudain, Bastien a une idée. Il
passe son écran en mode direct. Ainsi, il reçoit
directement l'image du satellite. Il zoome sur la région
parisienne. Hubert à compris, il s'approche.
- On ne verra rien à cause du halo lumineux de la ville.
Ton satellite, est-ce qu'il n'aurait pas une caméra
infra-rouge ? Le rayon, il doit être sacrément chaud.
- Bonne idée. dit Bastien en programmant l'autre
caméra.
Georges Lespontin a raccroché
violemment. Il a promis de brûler l'Arc de Triomphe et
les Champs-Elysées à 20h15. Le directeur indique
simplement :"Mesdames, Messieurs, nous sommes dans
la mouise. Je préviens la police."
Pendant ce temps, Hubert et Bastien
repèrent la puissante source de chaleur.
- On y va, dit Bastien
- Attend. Lulu, surveille l'écran et tiens-nous au
courant.
- Quel numéro de téléphone ?
- Démerde-toi, gueule Hubert qui coure déjà.
Ils traversent la ville à toute
allure. Pourtant, il y a les classiques encombrements de
fin de journée. Les deux hommes divergent un peu sur
l'itinéraire. Hubert veut foncer par les petites rues,
Bastien pense que les grandes avenues permettent de mieux
rouler, même avec les encombrements.
- Et puis dans les petites rues, il suffit qu'un type
décharge un balai pour bloquer le quartier pendant deux
heures et le chemin est plus long.
- Oui mais au moins tu roules. Sur les boulevards, tu
passes ta vie à attendre que le feu passe au vert.
Finalement, Hubert écrase le
champignon, roule à gauche, klaxonne, passe sur les
trottoirs et tout et tout. Ils arrivent à l'adresse où
se cache Georges. La police a bouclé le secteur.
- On ne passe pas.
- Nous sommes de l'Institut National de Météorologie.
- On ne passe pas.
- Mais enfin, vous avez besoin de nous. Allez chercher
votre chef.
- Pas le droit d'abandonner mon poste. Circulez.
- Que ce passe-t-il ? demande un brigadier en
s'approchant.
- Ces deux individus tentent de pénétrer le périmètre
d'exclusion, Chef.
- Vous deux, vos papiers.
Les deux hommes montrent leurs
papiers et parlementent. Enfin, on les conduit à un
commissaire qui porte des lunettes noires. Il se cache
derrière un fourgon.
- Restez à l'ombre. dit-il en tirant les deux hommes. Il
est fou.
- Oui, nous le savons.
- Il a déjà aveuglé deux de mes hommes. On ne peut pas
le tirer parce qu'on a que des viseurs infra-rouges et
ils sont brouillés. Qu'est-ce qu'il a dans les main ? Un
rayon laser ?
- Non, commissaire, il a volé un rayon de soleil. dit
Bastien l'air penaud.
- C'est ça, et moi, je suis le Pape. commente le
commissaire avec ironie. Et comment a-t-il perpétré cet
horrible forfait ?
- D'habitude, dit Hubert, on détourne le rayon avec un
miroir. Si le miroir est concave, on concentre le rayon.
Il ne reste plus qu'à le recueillir dans un récipient
isotherme garni d'amiante à l'intérieur.
- Vous me prenez pour un con ?
- En plus, il peut ajouter une loupe au bout de sa
bouteille pour en faire une arme.
- Je crois que vous avez raison... Je vais le faire
tirer.
- Surtout pas ! intervient Bastien. Si le rayon part à
l'horizontal au travers de la loupe, il va brûler la
moitié de la ville.
- Je vais passer par derrière, intervient Hubert. On n'a
pas de temps à perdre. Après il faudra remettre le
rayon à sa place.
- Comment remet-on un rayon à sa place, demande le
commissaire.
- On se met au centre de la zone où il manque et on le
libère vers le soleil. répond très sérieusement
Bastien.
Avec la souplesse du chat, la
patience du buffle, la force de l'ours et l'oeil du
faucon, Hubert maîtrise facilement Georges qui est un
peu encombré par sa combinaison d'aluminium.
Le soir même, la météo
télévisée est rigoureusement exacte.
Au journaliste qui lui demande comment Georges a bien pu
détourner un rayon de soleil, Bastien répond :
- Chut, je ne voudrais pas encourager des vocations de
pirates de lumière.
- Et qu'est devenu Georges Lespontin ?
- Il est à l'ombre !
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